TIMOR-NOIR


 

©Agnès.Dherbeys, Timor- Leste. 2007. Deux femmes ramassant du pétrole dans une nappe suintant en surface

TIMOR- NOIR…Tragédie en Trois Actes.

Transvaser un liquide. Agnès Dherbeys capte dans un cliché brut mais  d’une grande finesse, un geste qui semble anodin. Un geste qui résume, à lui seul, toute l’histoire, toute la souffrance, tout le dénuement mais aussi tous les espoirs du Timor. Noir et blanc, ce cliché argentique contient l’or du Timor et  sa malédiction: le pétrole. L’île  est sise sur 0,04% des richesses pétrolières mondiales (la moitié de celles du Bruneï), soit une belle manne pour un pays de 15 000 km2 et peuplé de 1,1 million d’habitants. En fait, pour l’un des peuples les plus pauvres d’Asie il ne reste rien, ou si peu…comme ce filet qui coule du pot à la bouteille, un filet misérable pour un peuple délaissé et lassé de misère. De cette noirceur, profonde, poisseuse la photographe retient, le passage du précieux liquide d’un pot à l’autre…comme le Timor a pu passer d’une puissance à l’autre (Portugal puis Indonésie). Dans un cadrage légèrement oblique elle évoque un axe  précaire liant la main, belle et nerveuse, le pot qui se vide, la bouteille qui se remplit. Noir et Blanc dans un contraste brutal. Elle souligne délicatement les gestes tendus mais aussi déliés et gracieux,  les pieds nus campés dans l’huile. Noir sur noir. En coin ce visage à peine esquissé, celui de la vieille femme  qui a probablement tout connu dans cette île résistante, traumatisée et oubliée de tous. Le filet, le geste, le regard…tout converge vers cette banale bouteille et son précieux pétrole. Toute l’histoire du Timor  converge vers l’or noir. Le pétrole  un enjeu stratégique, enjeu banal des tragédies banalisées ou ignorées. L’arrière plan du cliché dépeint une terre d’un blanc-gris cotonneux. Blanc et Noir, dégradé subtil. En arrière-plan, on entrevoit une enfant… L’espoir d’un avenir .

Remontons le cours de l’histoire du Timor-Oriental. L’ Histoire pas si banale d’un pays  « frappé d’horreur et d’amnésie ». Remontons  l’histoire d’un peuple  résistant qui  payé le prix fort de notre indifférence. Le Timor  saigne en noir et blanc dans une tragédie en Trois Actes.

ACTE UN : la décolonisation volée.

Le Timor Oriental était une colonie portugaise qui a obtenu son indépendance en 1975, la frontière avec l’Australie est fixée à mi-chemin des deux îles. Mais après la découverte d’hydrocarbures en zone off shore (dont la plus grande est le Sunrise), l’Australie conteste la frontière qui devient le Timor Gap.

Le parti nationaliste  FREITLIN  proclame l’indépendance du Timor-Oriental en novembre 1975 mais celle-ci ne vécut qu’une poignée de jours.

En décembre 1975 l’Indonésie de Suharto envahit le Timor Oriental en  prétextant que des forces communistes soutenaient le FRETILIN. Le contexte n’est pas favorable au petit Timor: la Guerre Froide termine son épisode de Détente pour revenir à plus de fraîcheur, Suharto qui a ramené l’Indonésie dans le giron du bloc occidental depuis 1968 est un allié fondamental des Etats-Unis, par ailleurs il dirige un pays riche en matières premières, très peuplé et au centre de l’échiquier géopolitique en Asie.

De fait, les Etats- Unis soutiennent l’allié indonésien en formant l’armée, en fournissant  des armes et des millions de dollars en aide militaire (New York Times 14 septembre 1999).

ACTE DEUX : l’occupation indonésienne, chut… on massacre en silence.

L’armée occupante engage une répression féroce dont les ressorts sont tristement classiques: torture,  déportation,  exécutions. Selon l’ONU entre 1975 et 1999 quelques 250 000 Timorais ont été victimes de la répression indonésienne. Le pays fait aussi l’objet d’une politique d’assimilation brutale : 200 000 « transmigrants » sont implantés dans l’île, les Timorais sont exclus de l’administration, la pratique du catholicisme est interdite (90% des Timorais sont catholiques).  La résolution 384 du 22 décembre 1975 du Conseil de Sécurité de l’ONU condamne l’invasion indonésienne, en vain, car la pression des Etats-Unis se fait en faveur de l’Indonésie.

En 1989 le Timor Gap Treaty est signé entre l’Indonésie et l’Australie. Cette dernière reconnaît la souveraineté indonésienne sur le Timor Oriental contre l’exploitation du pétrole du Timor Gap. L’essentiel de la zone de coopération  ZOCA est exploitée à 50% entre les deux pays, mais l’Australie fait modifier la frontière maritime pour exploiter 90% du pétrole des deux principales zones riches en hydrocarbures: Greater Sunrise et Laminaria. Les exactions, elles, se poursuivent.

En 1996, le prix Nobel de la Paix est attribué à deux Timorais, deux militants pour l’indépendance : Mgr Carlos Ximenes Belo et José Ramos-Horta.

En mai 1998, la mort du président indonésien Suharto et la crise économique qui touche l’Indonésie changent la donne, le président Habibie accepte le principe d’un référendum. Le 30 août 1999, 78,5% des Timorais votent pour l’indépendance. Le pays est immédiatement mis à feu et à sang par les milices indonésiennes. La capitale Dili est mise à sac, dévastée à 90%. 500 000 Timorais sont déplacés (sur un total de 890 000 personnes). On parle de génocide : « On ne peut écarter l’idée qu’on assiste aux premières étapes d’une campagne de génocide pour écraser définitivement par la force le problème du Timor Oriental » Council Mission to Jakarta and Dili du 8- 12 septembre 1999.

L’ONU envoie une force d’interposition UNAMET ( MINUTO) de juin à août 1999. Les Etats-Unis poursuivent les relations avec leur allié. Le Timor ne fait pas le poids, petit, pauvre  peuplé de 800 000 personnes face au géant indonésien. Le constat américain est sans appel « Nous n’avons pas de chien dans la course du Timor-Oriental ». Les exactions de 1999 font état de 10 000 morts. L’administration Clinton tergiverse jusqu’à ce que qu’un « chien » se rappelle au bon souvenir des Etats- Unis : l’Australie, qui sous couvert d’action humanitaire, essaie de mettre définitivement  la main sur le pétrole off-shore du Timor. Les Etats- Unis infléchissent leur position ,au profit de l’Australie.  A partir d’octobre 1999 le Conseil de sécurité a  habilité la Force internationale (INTERFET), sous le commandement  australien à assurer la sécurité et le maintien de l’ordre sur l’ensemble du territoire du Timor oriental; mettre en place une administration efficace; aider à créer des services civils et sociaux; assurer la coordination et l’acheminement de l’aide humanitaire. Cette force s’appelle ATNUTO et reste en poste jusqu’en  mai 2002.

ACTE TROIS : L’indépendance  du TIMOR-LESTE ?

Le 3 août 2001  des élections libres entérinent l’indépendance du Timor – Oriental au profit du FRETILIN.  Le Timor-Leste est né. La constitution entre en vigueur le 20  mai 2002. Les élections présidentielles de 2002 installent  Xanana Gusmão  comme président et Mari Alkatiri comme premier ministre. Les manœuvres  autour de la question du pétrole s’intensifient. L’Australie et le Timor Leste renégocient le contenu des accords pétroliers. Le jour de l’indépendance, 20 mai 2002 est signé le Timor Sea Treaty…acte dépendance… Certes 90% des royalties du pétrole doivent  revenir au Timor… mais en fait rien ne change ! Les deux principales zones pétrolières : Greater Sunrise et Laminaria restent exploitées à 80% par l’Australie. A la veille d’une réunion des pays donneurs d’aide, en avril 2004, M. Gusmão, exaspéré, en appelle à l’opinion publique : « Si le voisin, grand, puissant, nous vole l’argent destiné à rembourser , nous allons être endettés. Nous serons un pays de plus sur la liste des endettés du monde entier ! ». En 2005 le Fonds pétrolier Timorais est crée pour gérer les ressources pétrolières du pays.

En janvier 2006 : le Timor- Leste et l’Australie ont signent un nouveau traité  « Certain Maritime Arrangements in the Timor Sea » CMATS .

La même année, 2006, le Timor-Leste est   à nouveau agité par l’instabilité politique et la violence. Les rivalités entre la police et l’armée Timoraise dégénèrent en affrontements, le premier ministre Alkatiri licencie 600 soldats (parmi eux Alfredo Reinado). Cette décision est condamnée par le président Gusmão, qui menace de démissionner, et entraîne un regain de violences dans le pays mené par les soldats mutins. Au final, c’est Alkatiri, principal négociateur sur les questions pétrolières qui démissionne. José Ramos-Horta est nommé premier ministre pour ramener un semblant de calme.

Le 9 avril 2007 les élections présidentielles  se déroulent dans une ambiance électrique et sous contrôle des forces internationales dirigées par l’Australie.  C’est ce qu’Agnès Dherbeys montre dans son essai sur le Timor. José Ramos-Horta est élu, Gusmão  devient son premier ministre. Ils remportent les élections face  face à Guterres « Lu-olo » soutenu par Alkatiri.

Le 11 février 2008 le président José Ramos- Horta et son premier ministre font l’objet d’un double attentat organisé par les militaires mutins menés par Alfredo Reinado. Ce dernier est tué dans des circonstances troubles par les hommes  sécurité du président.

Le rideau est tiré. Le Timor peut-il se développer sur les royalties de la manne pétrolière ou le Timor noir sera-t-il définitivement la noire malédiction de pays?

Laetitia Canal-Cologni.

©Agnès Dherbeys, Timor, 2007.

Un subtil camaïeu de Noir et blanc, une atmosphère ouatée, des sujets insaisissables courant dans un champ improbable et bientôt hors champ. Un cadrage légèrement oblique. Un cliché d’une beauté renversante. Un cliché qui brosse un Timor-Leste hors du temps, léger presque éthéré mais aussi dynamique, vif, plein d’espoir.

POUR APPROFONDIR

AGNES DHERBEYS

Agnès Dherbeys est une photjournaliste française, basée en Thaïlande. Après avoir  intègré Sciences Po à Lyon, elle poursuit avec un  DESS au Celsa. Avec un tel bagage, elle semblait prête à réaliser son rêve, mais une rencontre déterminante modifie le tracé de son chemin : elle vivra le journalisme par la photographie. Pour elle, « la photo rentre plus agressivement, plus directement dans le vif du sujet et elle le fait avec plus d’émotions différentes. J’ai l’impression d’être plus libre que je ne l’aurai jamais été avec des mots, du texte. »
Elle  s’implante en Thaïlande, elle couvre deux gros reportages au Népal, le tsunami, l’évolution politique eu Timor. Distribuée par l’agence Cosmos, son travail a été publié in Le Monde 2, Libération, Télérama, Marie-Claire, Newsweek, …
Lauréate de la Bourse photographie de la Fondation Lagardère en 2005, elle est également membre de l’organisation EVE, association de 6 femmes photographes crée en 2006 sur le thème de la maternité. Agnès Dherbeys a gagné le deuxieme prix en Story Spot news pour un reportage au Nepal fait en avril 2006 au World Press Photo 2007 et a été retenue aux Masterclass de la fondation du World Press Photo 2007. Finaliste du Visa d’or, Visa Pour l’image, Perpignan en 2008. Agnès Dherbeys fait partie du programme VII mentor, soutenant les jeunes photographes de talent.

Timor- Leste: Localisation

Quelques données
Capitale : Dili
Président : José Ramos- Horta
Population : 1, 14 millions d’habitants
Religion dominante : 90% de catholiques
IDH : 0,513 (2004), rang 153

Timor Gap et accords sur les hydrocarbures.



11 décembre 1999 Timor Gap Treaty
20 mai 2002 Timor Sea Treaty Australie/ Timor-Leste
2007 Treaty on Certain Maritime Arrangements in the Timor Sea (CMTS)

Australie et Hydrocarbures


Source CIA World Factbook, 2008.

« Shell a reçu le feu vert pour construire la première usine flottante de liquéfaction de gaz(…) Le Timor-Oriental, à qui Shell a proposé une plate-forme flottante pour exploiter un gisement à cheval sur les eaux australiennes et timoraises, a surtout vu les inconvénients de cette solution innovante. Le petit État insulaire a refusé, préférant une installation à terre qui créerait des emplois et des infrastructures chez lui plutôt qu’une usine susceptible de voguer un jour vers d’autres eaux »

Le mystère Reinado
Alfrédo Alves Reinado ou Reinhado : (1967-11 février 2008) Ancien major de l’armée du Timor Oriental. Formé en Australien entre 2004 et 2006, il a déserté le 4 mai 2006 pour mener la mutinerie des 600 soldats licenciés après s’être plaints de discriminations dans les promotions (crise de 2006). Il est emprisonné puis s’échappe avec 50 autres prisonniers des prisons de Dili en août 2006. Le 11 février 2008 il est tué par les services de protections de la présidence alors qu’il  participait à l’attentat contre José Ramos- Horta.

A Lire
Frédéric Durand, Timor-Oriental, pays au carrefour de l’Asie et du Pacifique : un atlas géo-historique, Presses universitaires de Marne-la-Vallée (France) et Irasec (Bangkok, Thaïlande), 2002.
Noam Chomsky Timor Oriental, l’horreur et l’amnésie, Le Monde Diplomatique, oct 99
Ph Rekacewicz, L’Australie à l’assaut du pétrole timorais, Le Monde Diplomatique, nov 2004
J-P Catry, Quand l’Australie spolie le pétrole, Timorais, Le Monde Diplomatique, nov 2004

 Fabrice Nodé- Langlois, Un navire usine à gaz géant au large de l’Australie, Le Figaro, 13  novembre 2010

 www.agnesdherbeys.com
http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/asie/timor_onu.htm
http://www.un.org/peace/etimor99/etimor.htm
http://www.un.org/fr/peacekeeping/missions/past/atnuto/body_atnuto.htm
http://www.laohamutuk.org

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