RUE DU PEUPLE…France:la culture de la manifestation.

©Bertrand Gaudillère, Rue du Peuple, 2010. Collectif Item.

Habituellement les photos de manifestations soulignent la masse, prises en plan large , en plongée, elles  présentent une foule  informe, anonyme, colorée avançant vers l’objectif. Le pouvoir de la masse…ou son danger c’est selon.. Ici les photos de Bertrand Gaudillère s’attachent à souligner les individus, dans toute leur diversité d’âge, de couleur, de catégorie sociale, de mécontentement, d’engagement, de militantisme…Le Peuple…n’est pas un troupeau…c’est une somme d’individus réfléchis.  Entre le 23 mars et le 23 novembre 2010, la France a connu 15 journées d’action contre la réforme des retraites : cheminots, raffineurs, dockers, routiers, éboueurs, chômeurs, retraités mais aussi étudiants et travailleurs du secteur privé. Peuple de râleurs, de bloqueurs ?… des truismes qui masquent le débat de fond…Au-delà de l’opposition à la réforme cette période de grèves soulève de nombreuses questions propres à l’engagement du peuple français : le rapport de force entre l’expression du peuple dans la rue et les choix d’un gouvernement issu de l’expression des urnes. Se pose également la question du syndicalisme en France mais aussi celle du traitement médiatique de ce genre d’événement. Questions à aborder sans position partisane mais également sans tabou car ce sont des questions autour desquelles se construisent les notions de liberté d’expression, de droit de grève…et de démocratie.

Pour traiter ce sujet, le photographe s’est attaché à rendre leur visage aux manisfestants. Leur redonner une identité pour incarner leur engagement. Pour ce faire, il utilise un procédé technique : l’open flash, autrement dit une  lumière flash décentrée exposée pour le sujet principal, ce qui fait  que l’arrière-plan est sous exposé d’un diaphragme ou deux, et dans le  traitement des fichiers brut, il accentue ensuite le contraste entre le  sujet et le reste de l’image en accentuant la luminosité du centre et le sombre des contours de l’image…c’est-à-dire en « vignettant »
Cela donne un effet que je trouve assez magique, car tout en restant dans le contexte de la manifestation, le cliché insiste sur les individus, leur caractère, leur visage, leur expression.  Bref il restitue, un visage, une identité pour incarner leur engagement .

Le photographe voulait montrer ces « gens » qui manifestent et qu’on ne montre que de façon très caricaturale dans les micro-trottoirs réalisés par les JT. Comme le souligne B Gaudillère … « Des gens …une entité un peu abstraite que l’on encense ou qu’on maltraite. On parle des gens si facilement avec des mots si évidents qu’on en oublie cette question : les gens c’est qui ? les gens c’est quoi ? Les gens c’est eux, les gens c’est vous, les gens c’est moi… »…objectif atteint.

Laetitia Canal-Cologni

POUR APPROFONDIR

A L’ASSAUT D’UN VIEUX TRUISME ANTI-GREVE.

« Les manifestations et l’expression dans la rue sont illégitimes face à un gouvernement issu d’élections légitimes. »

Accepter ce  cliché c’est nier le droit de grève. C’est aussi oublier que parfois, un gouvernement désigné légitimement peut agir de façon illégitime parce qu’il « oublie » qu’il est le représentant de tous les Français et plus seulement de son électorat. L’expression dans la rue est un élément constitutif de la démocratie. Il est vrai qu’en France, la grève  est considérée comme « traditionnelle » par rapport à d’autres pays qui gèrent plus leurs crises par la négociation…! Il y a des raisons historiques à cela…
Cela vient essentiellement du fait que le plus vieux et principal syndicat français est la CGT, marqué par le marxisme et les velléités révolutionnaires, il porte encore,  malgré ses évolutions, la marque du rapport de force et l’imprime aussi à l’ensemble du syndicalisme français…
Par ailleurs, la lutte s’explique aussi par l’incapacité des gouvernements français à anticiper les rapports de force. En effet, tout gouvernement rechigne à négocier en amont avec le syndicats, parce que pour le pouvoir le syndicalisme français est trop faible et n’est donc pas représentatif. En effet, dans d’autres pays ( comme l’Allemagne)  le syndicalisme est puissant, il est   considéré comme un véritable acteur politique, ce qui crée une culture de la négociation.  En France, le syndicalisme a une assise de cotisations relativement modeste,  selon le ministère du travail 8% des travailleurs français sont syndiquées (dont seulement 5% dans le secteur privé)  contre 30 à 50% dans les autres pays européens. Pis, les syndicats ont perdu une grande part de leur assise dans le secteur tertiaire (central dans l’économie) depuis les années 70. Donc, le rapport de force est presque inévitable pour permettre des avancées sociales ou la défense de certains acquis…ce qui crée une culture de la manifestation en France.

©Bertrand Gaudillère, Rue du Peuple, 2010.

LE SYNDICALISME EN FRANCE

Les syndicats ne sont légalisés qu’en 1884 avec la loi Waldeck- Rousseau mais le syndicalisme reste interdit dans la fonction publique. LA GCT ( Confédération Générale du Travail) est fondée en 1895 . Très marqué par le marxisme elle se fonde sur la lutte des classes et l’action directe, elle se veut aussi « révolutionnaire » et indépendante des partis politiques.  En 1919, la CFTC ( Confédération des Travailleurs Chrétiens) propose un contrepoids à la tradition marxiste, c’est un syndicat moins virulent et réformiste. En 1941 le Régime de Vichy dissout les organisations syndicales et forme des corporations réunissant patrons et employés.Les libertés syndicales sont rétablies par une loi du 27 juillet 1944 et les confédérations dissoutes sont recréées.

En 1948,un courant sécessionniste de la CGT, réformiste et opposé à la domination du Parti communiste français sur la CGT, crée la CGT-FO.

En 1964, la CFTC décide d’abandonner les références sociales chrétiennes et de changer le nom de leur organisation. La CFTC devient  CFDT (Confédération française démocratique du travail). Toutefois, une minorité de militants estimant qu’il s’agit plutôt d’une « rupture » décide de « maintenir » la CFTC.

En 1992, le mouvement « autonome », comportant principalement des syndicats qui, en 1947, avaient refusé de choisir entre la CGT et FO, s’organise dans l’UNSA.

©Bertrand Gaudillère, Rue du Peuple, 2010

LA RETRAITE EN FRANCE

Le régime de Vichy a le premier, mis en place un embryon de retraite par répartition (en utilisant les fonds de retraites capitalisés depuis 1930. En effet le décret- loi du 14 mars 1941 crée  une pension de retraite par répartition pour les assurés du commerce et de l’industrie et les professions agricoles dans le cadre de la « Révolution nationale ». Mise en place par René Belin, ancien dirigeant de la CGT devenu ministre du Travail sous le régime de Vichy. Le régime de retraite par répartition tel que nous le connaissons a été adopté en 1944 par le Programme du Conseil national de la Résistance et mis en application dès 1946. La retraite par répartition est un système de financement des pensions de retraite, qui consiste à les alimenter directement à l’aide des cotisations prélevées au même moment à cet effet sur la population active. Les cotisations de l’assurance-vieillesse sont donc redistribuées entre tous les pensionnés.

Réformes

1993 : réforme Balladur
1995 : échec du plan Juppé
1999 : création du Fonds de réserve pour les retraites
2003 : réforme Fillon
2007 : réforme des régimes spéciaux
2010 : réforme Woerth

QUELQUES CHIFFRES SUR LA RETRAITE

– Plus de 15 millions de retraités en France – Pension moyenne en brut (base + complémentaire) tous régimes confondus : 1.122 euros par mois en 2008, 825 euros pour les femmes, 1.426 pour les hommes (chiffres de la Drees, excluant pensions de réversion et minimum vieillesse)
– 70% des actifs relèvent du régime général (salariés du privé) et du régime des salariés agricoles de la Mutualité sociale agricole (MSA).
– 10% des actifs relèvent des régimes de non-salariés, comme le Régime social des indépendants (RSI, commerçants et artisans), les régimes des professions libérales (CNAVPL) ou encore le régime des avocats (CNBF).
– 20% des actifs relèvent des régimes spéciaux (fonction publique, régimes spécifiques des entreprises publiques)
-10,7 milliards d’euros de déficit en 2010.

Retraites de base du régime général (salariés du privé)

– Plus de 12 millions de retraités pour environ 17 millions de cotisants
– 734.000 nouveaux retraités en 2009
– Pension : 50% du salaire annuel moyen des 25 meilleures années en cas de carrière complète (les salaires annuels sont pris en compte chaque année dans la limite du plafond de la Sécurité sociale, qui est en 2010 de 2.885 euros).
– Pension moyenne de base en brut: 599 euros (681 euros pour les hommes, 531 pour les femmes) en 2009 auquel il faut ajouter les retraites complémentaires (cotisation par le salarié)
– Pension moyenne de base en brut des nouveaux retraités 2009 qui ont eu une carrière complète au régime général: 979 euros
– Age moyen de liquidation des droits: 61,68 ans (ne tient pas compte des départs anticipés avant 60 ans)
– Déficit: 7 milliards EUR en 2009

Retraites complémentaires obligatoires des salariés
– Salariés du privé: plus de 18 millions de salariés cotisent à l’ARRCO, et près de 4 millions de cadres cotisent également à l’AGIRC.
Ces régimes versent des pensions complémentaires à plus de 11 millions de retraités, dont 2,5 millions de cadres.
– L’ARRCO a versé des pensions complémentaires d’environ 300 euros en moyenne en 2008, l’AGIRC d’environ 750 euros.

Retraites de la fonction publique

– 1,5 million de pensionnés de droit direct dans la fonction publique d’Etat, plus de 790.000 dans les fonctions publiques territoriales et hospitalières. 600.000 pensions de droits dérivés (réversion) dans les trois fonctions publiques.
– Calcul de la pension: 75% du salaire de référence calculé sur les six derniers mois de traitement (n’inclut pas les primes).
– Montant moyen des pensions: 1.191 euros dans la fonction publique territoriale, 1.265 euros dans l’hospitalière, 1.952 euros pour les pensions civiles de la fonction publique d’Etat. Pas de pension complémentaire.
(Chiffres du dernier rapport annuel sur l’état de la Fonction publique)

Spécificités françaises
– Part des dépenses de retraites publiques dans le PIB: 12,4% en France, soit le troisième rang des pays de l’OCDE derrière l’Italie et l’Autriche.
– Place des fonds de pension en valeur des actifs par rapport au PIB: 1,1% en France, soit l’avant-dernier rang des pays de l’OCDE (132,2% aux Pays-Bas, 86,1% au Royaume-Uni, 4,1% en Allemagne)
– Taux d’emploi des seniors (55-64 ans): 38,3% en France contre une moyenne de 45,6% dans l’Union européenne (la France figure au 19e rang sur 27)
(Chiffres fournis par la Caisse nationale d’assurance vieillesse)

– 56% des Français hostiles à un report de l’âge de départ à la retraite. 38% d’entre eux se disent d’ailleurs prêts à manifester ou à faire grève pour dénoncer un tel projet, selon un sondage TNS Sofres/Logica pour Europe 1 diffusé en sept 2010

REGIME DE RETRAITE DES DEPUTES ET SENATEURS

(Interview de Marie-Laure Dufrêche Délégueé Générale de Sauvegarde des Retraites. par Cpital.fr)

Alors qu’ils sont censés donner l’exemple, députés et sénateurs bénéficient de régimes spéciaux particulièrement avantageux. Un seul mandat de cinq ans permet aux députés de percevoir une retraite de 1.550 euros ce qui correspond, à ce que  touche, en moyenne, un salarié du privé, après 40 années de travail. Mieux encore, la quasi-totalité d’entre eux cumule cette pension avec d’autres pensions, notamment celle d’élu local.

Capital.fr : Quels sont ces « privilèges » ?
Marie-Laure Dufrêche : Le régime de retraite des députés fonctionne par répartition, mais leur caisse n’est alimentée qu’à hauteur de 12 % par des cotisations. Le solde du financement est assuré par une subvention votée par les… parlementaires et payée par l’Etat, donc les contribuables. Le régime des députés coûte aux Français la bagatelle de 52 millions d’euros par an, sur les 60 millions de prestations versées. Autre avantage : ils peuvent cotiser double pendant 15 ans, puis 1,5 fois les 5 années suivantes. Ils auraient tort de s’en priver puisque le rendement de leur régime est imbattable : pour un euro cotisé, un député touchera 6 euros à la retraite, contre 1 à 1,5 euro pour un Français lambda. Ainsi, en seulement 22,5 années un député validera l’équivalent d’une carrière pleine, soit quarante annuités.

Capital.fr : Les sénateurs sont-ils aussi bien lotis ?
Marie-Laure Dufrêche : Les sénateurs peuvent aussi cotiser double et le rendement de leur régime est équivalent à celui des députés. Leur caisse fonctionne, en partie, par capitalisation. Les cotisations couvrent 43% des dépenses, le reste est financé par les intérêts de leurs placements. Leur régime a le mérite d’être bien géré puisque fin 2008, leur caisse était excédentaire de 575 millions d’euros, ce qui leur permet d’assurer 23 années de prestations. Dernier avantage de nos élus : en cas de décès, le veuf ou la veuve reçoit 66% de la pension du défunt, sans condition de ressources. Or, dans le privé, les conditions pour recevoir une pension de réversion sont tellement drastiques que le conjoint conjoint survivant ne perçoit rien du régime général dès lors que ses ressources personnelles dépassent 1528 euros par mois.

Propos recueillis par Frédéric Cazenave

TRAITEMENT MEDIATIQUE DES MANIFESTATIONS DE 2010

à lire la chronologie du traitement médiatique sur le blog www.collectif.item.com …édifiant!

BIO BERTRAND GAUDILLERE

C’est un photojournaliste engagé, il a fondé le collectif de photographes collectifitem avec Julien Brygo, Romain Etienne, Franck Boutonnet, Marc Bonneville. Il travaille sur les sujets aussi divers que la marginalité, les sans-papiers…

©Bertrand Gaudillère Rue du Peuple, 2010.

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