Décès du photographe Loucas Von Zabiensky-Mebrouk, dit Lucas Dolega

 
 
 
Remi OCHLIK/IP3
 
Malgré toute la frénésie, les espoirs qu’elle soulève, la révolution de Jasmin est entâchée par la mort d’une centaine de victimes. Lucas Mebrouk Dolega est une d’entre elles,  victime d’un tir délibéré de la police tunisienne…mais aussi des méthodes cruelles d’un régime de répression aveugle instauré par Ben Ali.
 
Témoignage des photographes présents autour de Lucas Dolega dans PAris- Match et communiqué
 
 
 
voici le communiqué de presse annonçant le décès de Lucas Dolega.
Conformément aux souhaits de la famille, nous vous remercions de bien vouloir le publier tel quel, sans modification aucune
Par ailleurs, une photographie est disponible. 
Elle devra être publiée dans son intégralité.
Cette photo ne doit en aucun cas, et pour aucune raison, être modifiée ou retaillée.
Elle devra être payée au tarif habituel. L’intégralité de l’argent perçu sera reversé intégralement à la famille.
Merci pour votre générosité.
Merci de nous contacter pour obtenir le fichier haute définition.
 
COMMUNIQUE DES CONFERES PRESENTS PENDANT LE DRAME
 
Vendredi 14 janvier 2011, à l’issue de la manifestation sur l’avenue Bourguiba de Tunis, nous nous sommes retrouvés, entourés d’un groupe de manifestants, au coin de la rue Ghandi et de la rue de Marseille. La situation en ville était extrêmement tendue, avec des affrontements entre des petits groupes de manifestants et la police Tunisienne dans les rues autour de l’avenue Bourguiba et du ministère de l’intérieur. A 16h 23, la police Tunisienne a tiré une grenade lacrymogène dans notre direction. Le projectile (un tube en aluminium d’une vingtaine de centimètres de long et d’environ 5 de diamètre), tiré d’une distance d’une vingtaine de mètres, à hauteur de tête en « tir tendu », (plutôt qu’un « tir en cloche »,  la technique correcte d’utilisation de cette arme), a percuté notre collègue Lucas Mebrouk Dolega à la tête. Nous lui avons prodigué les premiers soins sur place, puis l’avons évacué, dans la voiture de collègues, dans les minutes qui ont suivi, d’abord à la clinique Le Secours, où l’état de Lucas a été stabilisé afin de permettre son transport, puis, par un habitant du quartier, à l’Hôpital Neurologique Rabta de Tunis. Lucas a été opéré sur le champ par le Professeur Djmal. L’opération s’est bien déroulée, et Lucas a été maintenu dans un coma artificiel. Le diagnostic faisait état d’un hématome extradural frontal gauche, d’une hémorragie méningée, de l’orbite oculaire gauche fracturé, du sinus gauche fracturé, et d’une lésion au globe oculaire gauche. Son état, à l’issue de l’opération, était considéré stable mais critique. L’espoir était que Lucas survivrait tout en perdant son oeil. Dans la nuit suivant l’opération, l’état de Lucas s’est aggravé, et son coma s’est approfondi. Sa famille est arrivée à Tunis hier. 
Loucas Von Zabiensky-Mebrouk, dit Lucas Dolega, s’est éteint ce matin 17 janvier, à l’hôpital Rabta. Il avait 32 ans. Nos pensées vont à sa famille et ses proches.
 
 

 

 Matthias Bruggmann – Olivier Laban-Mattei – Remy Ochlik – Bruno Stevens – Pierre Terdjman

« On Friday January 14, 2011, the French photographer Loucas Von Zabiensky-Mebrouk, a.k.a. Lucas Dolega was fatally wounded to the head by a tear gas canister shot by Tunisian police at close range. He died on January 17 at Rabta hospital in Tunis, surrounded by his family, spouse, and friends.
Matthias Bruggmann – Olivier Laban-Mattei – Remy Ochlik – Bruno Stevens – Pierre Terdjman »
 
HOMMAGE DE SES CONFRERES DANS  PARIS MATCH
Les photographes Olivier Laban-Mattei et Rémi Ochlik étaient avec Lucas Mebrouk Dolega le vendredi 14 janvier lorsque leur confrère fut mortellement atteint par le tir d’une grenade lacrymogène d’un policier tunisien. Récit et hommage à un journaliste tué dans l’exercice de son métier.
Olivier Laban-Mattei et Rémi Ochlik – Parismatch.com
Il est 7h30 du matin, ce vendredi 14 janvier 2011. Lucas et moi sommes déjà à l’aéroport, pressés de récupérer notre matériel photo saisi la veille au soir par la douane. Dehors, tremblotant de froid, une cigarette à la main, Lucas enrage de ne pas encore avoir ses appareils alors que des rumeurs de soulèvement populaire enflent de minute en minute dans les rues de Tunis. Je tente de le rassurer en lui disant que notre situation va vite se débloquer. Trois heures durant, attendant le fax d’autorisation des autorités, sésame qui nous permettra de rejoindre nos camarades au cœur de l’histoire, Lucas et moi refaisons le monde et parlons de nos projets futurs, autour d’une canette de Red Bull, histoire de nous donner des forces pour une journée qui s’annonce longue.
«Je suis tellement heureux d’avoir Nath, elle comprend ce que je fais, elle me soutient, c’est si important pour un photographe de trouver cet équilibre qui lui permet de continuer sans craquer» me confie-t-il. Il évoque ses parents, le Maroc de son père, l’Allemagne de sa mère. On voyage, d’anecdotes en anecdotes. Au bar de l’aéroport, on s’amuse à essayer de repérer autour de nous les policiers en civil. Les blagues s’immiscent dans nos conversations plus sérieuses.
Passionné par l’Amérique Latine, il me fait part de ses envies de reportages. Après une dizaine de coups de téléphone et d’innombrables aller-retour dans les différents services des douanes, nous nous présentons devant l’officier des douanes en charge du fax. Ce dernier s’amuse du style vestimentaire de Lucas : «Hey, Mebrouk, avec ton blouson en cuir, on dirait que tu as l’air d’un biker !». Lucas lui réplique alors, le sourire au lèvre, que sa Harley Davidson tourne justement devant l’aéroport et qu’il serait bien maintenant qu’on récupère notre matériel.
 
 
 
 

 ©Bruno Stevens – Matthias Bruggmann/Cosmos 2011

Les plaisanteries fusent, jusqu’à ce que le bip du fax interrompe nos rires. Ca y est, l’autorisation sort enfin de la machine. Excités comme des enfants, nous filons au bureau des objets retenus et signons le papier de retrait. Appareils photos en bandoulière, nous marchons d’un pas décidé vers la sortie, sans nous retourner, en priant pour ne pas être hélés par la police. Dans le taxi, Lucas se prépare pour être opérationnel tout de suite. Rémi Ochlik, notre ami photographe vient de nous appeler pour nous dire que la manifestation des opposants au régime de Ben Ali venait de débuter et qu’elle se dirige vers l’avenue Bourguiba.

Lucas accroche ses sacoches autour de son torse, fixe un objectif à son appareil photo et met une carte à l’intérieur. Il est prêt. Le taxi s’arrête enfin à l’entrée de l’avenue. Après une halte express dans ma chambre d’hôtel pour y déposer le matériel superflu, nous courrons à l’extérieur pour rejoindre les manifestants massés devant le Ministère de l’Intérieur, à quelques pas de là. Nous y retrouvons Rémi qui travaille déjà. Lucas est heureux, il va enfin pouvoir témoigner…

Olivier Laban-Mattei

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Le film des événements

du 14 janvier.

Lucas (de dos)

en première ligne.

Au centre : à 16 h 23,

il est touché près de l’œil.

En bas : les policiers témoins de

la scène ne s’attardent pas…

( Photos Bruno Stevens – Matthias Bruggmann)

Sa dernière journée

Vendredi, 11h, je suis devant le ministère de l’intérieur tunisien, au milieu d’une foule immense, quand mon regard s’arrête sur Lucas, boîtiers en main jouant des coudes pour photographier la foule. Bonne nouvelle, il a enfin récupéré son matériel et m’a rejoint dans la manifestation. Parti tôt le matin, enragé de s’être fait confisqué son matériel par la douane tunisienne. Il me sourit, heureux d’enfin pouvoir travailler. Alors que l’on se rejoint, des manifestants nous hissent sur leurs épaules pour nous offrir un autre point de vue sur la foule qui s’étend à présent à perte de vue. Retrouvailles quelque peu surréalistes. Nous travaillons, nous travaillons, lorsque Lucas me propose d’aller transmettre nos premières images à l’hôtel.

Toujours pressé de diffuser l’information au plus vite, un coca, les ordinateurs, les appareils en vrac sur les tapis de l’hôtel, c’est depuis le lobby qu’il travaille. Je repars à l’extérieur prendre la température et comprends vite que la simple manifestation tient plus d’un immense soulèvement populaire, je tape un SMS pour Lucas et Olivier pour qu’ils me rejoignent. La situation se tend, et il ne faut pas plus que quelques minutes pour qu’elle dégénère. Une détonation, ça y est c’est parti, la police tire ses premières cartouches de lacrymogènes. Ambiance chaotique, un coup d’œil sur Lucas, il est dans son élément, et, malgré le nuage de fumée, il travaille, a couvert derrière un arbre. Comme dans ces cas-là, même si l’on est séparé de quelques mètres, on garde mutuellement un œil les uns sur les autres.

Rejoints par Olivier, nous restons groupés, sécurité oblige, et nous suivons les manifestants dans des rues parallèles. Ils dressent des barricades, jettent des projectiles, allument des feux. La police répond par des tirs de gaz lacrymogène. CPE, sommet de l’OTAN à Strasbourg, Sommet sur l’environnement a Copenhague, Lucas est habitué aux confrontations entre police anti-émeutes et manifestants, il sait parfaitement réagir et bosser dans cet environnement. Quelques minutes plus tard, décision commune est prise entre photographes de retraverser l’avenue Bourguiba pour « voir » ce qu’il se passe dans d’autres quartiers. Aussitôt traversée, les mêmes scènes se reproduisent, des Tunisiens se confrontent aux forces de l’ordre. Un groupe de policiers nous précèdent alors que nous rejoignons des manifestants. Nous sommes a l’angle de deux rues, en face, un nuage de fumée dans lequel évoluent une dizaine de policiers, a notre droite quelques manifestants.

Et puis soudain, une détonation, tout bascule, je vois Lucas s’effondrer. Je comprends tout de suite ce qu’il vient de se passer, Les photographes présents se précipitent autour de lui, pour le mettre a couvert, il se tient la tête. Olivier et Pierre, trousse de première urgence en main font un point de compression. Je cours dans les rue vides et enfumées pour trouver un véhicule. Le temps me paraît interminable, enfin j’arrête une voiture, leur hurlant de me suivre. Nous revenons sur les lieux de l’accident et transportons Lucas à l’intérieur. Olivier monte avec lui. Pendant que Pierre, Matthias et moi tentant de trouver une autre voiture pour les rejoindre.

A la clinique Le Secours, où une foule de tunisiens est massée devant l’entrée, je retrouve Olivier, Lucas est stabilisé, il va être transporté vers le centre de neurochirurgie Rabtal de Tunis. Nous organisons un cordon pour permettre au brancard d’accéder à l’estafette prévue pour le transport. Alors que les brancardiers font leur apparition en haut des marches, un tonnerre d’applaudissement retenti, la nouvelle s’est propagée, et les habitant du quartier applaudissent Lucas, le photographe français blessé alors qu’il venait pour raconter leur victoire. Peu après, au centre de neurochirugie, Lucas est pris en main, les médecins se veulent rassurants, son état est stable le pronostic vital n’est pas engagé…

Rémi Ochlik

 
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Une réponse à Décès du photographe Loucas Von Zabiensky-Mebrouk, dit Lucas Dolega

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