PHOTOGRAPHIER?… photemballer une leçon!

PHOTOGRAPHIER???…Photemballer une  leçon!


copyright Gilles Caron, Vietnam, 67, fondation Caron

1-DU DEGRE ZERO DE LA PHOTOGRAPHIE.

Commençons par tuer  quelques clichés :

-La photographie ne se fait pas par un simple « clic »…la suite de mon billet le prouve…shooter c’est un métier!

-La photographie n’est pas la réalité…elle témoigne d’une réalité grâce à une construction…elle montre et démontre.

-La photographie n’est pas objective, elle propose un regard, elle se pense… donc elle est subjective

Ceci étant dit nous pouvons quitter le degré zéro de la photographie  et monter quelques étages…

2-FAIRE UNE PHOTOGRAPHIE

« On ne prend pas une photo: on la fait«  (Ansel Adams)

Pour construire une photographie il faut…un sujet: extraordinaire ( révolution, manifestation, cérémonie…) ou banal (vie quotidienne, portrait…) TOUT est sujet… ce qui rend une photographie remarquable c’est moins son sujet que sa composition et l’effet produit. Bref il faut capter l’instant parfait.

Un grand photojournaliste ne se contente pas de shooter de grands événements…il est surtout un grand photographe tout court qui propose  fait découvrir le monde à travers son regard singulier… il montre le monde d’une manière nouvelle et fait des photos qui restent gravées dans notre mémoire…elles deviendront iconiques …interroger des sujets ordinaires est aussi porteur que des sujets « historiques »… tout dépend du regard et de la réflexion qu’on éveille …

Dans mon panthéon tout à fait subjectif nous trouverons en vrac Capa, Caron, Pierre Boulat, Koudelka, Ronis, Nick Ut, Horst Faas, Nachtwey, Sebastiao Salgado, Alexandra Boulat, Mc Culllin, Huet, Mc Curry ( oui oui je sais), Joao Silva, Stanley Greene…et beaucoup d’autres…

La photographie combine regard, réflexion, intuition  et parfois improvisation!

… DIFFERENCE MAKES DIFFERENCE


3-DANS LA LIGNE DE MIRE D’UN OBJECTIF

CHEMINER DANS UNE PHOTO. Une photographie c’est comme un tableau…le regard doit toujours circuler  pour rentrer, suivre une histoire et sortir de la photo…pour cela le photographe joue sur les lignes de forces (composition selon la règle des tiers, lignes points de fuite ou lignes directrices), sur la lumière et les contrastes de couleurs…l’ensemble créant un rythme pour le regard.

copyright Gilles Caron, Londonderry 69, Fondation Caron


Les lignes directrices et le rythme.

Les lignes directrices sont la véritable structure de l’image (lignes délimitant les objets, limites ombre-lumière, lignes séparant deux couleurs…). Elles doivent orienter le regard du spectateur vers le sujet central. Les photographies sont souvent organisées par un quadrillage selon la règle des tiers ou nombre d’or…le sujet est organisé selon les axes de ce quadrillage.

  • La répétition des lignes directrices à dominante horizontale évoque le calme. Rythme statique…mais si le sujet est violent…l’effet est inverse et encore plus frappant…
  • copyright Gilles Caron, Biafra 68, fondation Gilles Caron
  • Les lignes directrices verticales donnent un sentiment d’exaltation, d’élévation morale ou religieuse. Cependant le rythme est aussi statique.
  • Les lignes directrices obliques ou courbes évoquent le mouvement. Rythme dynamique. Si on brise des lignes directrices obliques, alors on obtient une sensation de rupture, d’instabilité.
  • Les lignes courbes, quant à elles, expriment la douceur. C’est le cas des lignes en ellipse, en S ou encore en cercle.
  • On peut obtenir un rythme pyramidal si les lignes directrices encadrent le sujet dans un triangle
  • Les lignes diagonales qui convergent vers un point de fuite donnent une profondeur, une énergie et un mouvement
  • La diagonale descendante , du coin supérieur gauche au coin inférieur droit, paraît plus puissante et semble entraîner le regard hors de l’image.

    *Les lignes directrices brisées provoquent une impression d’instabilité

    4- TE CADRER …OU PAS !!

    Face à un sujet, le photographe a le choix entre plusieurs cadres. Notamment, il peut s’éloigner ou se rapprocher…

    1. Plan général ou plan d’ensemble: le sujet est intégré dans son environnement. Ce cadrage permet d’insister sur l’étendue de l’endroit photographié et sur la forte relation entre le sujet et son environnement.

    2. Plan moyen : cadrage serré autour du sujet principal, en ne laissant pas ignorer l’environnement. Le sujet apparaît en entier.

    3. Plan américain : le sujet est cadré à mi-cuisse; le décor est secondaire.

    4. Plan rapproché taille ou poitrine: il contient la partie essentielle et la plus significative du sujet.

    5. Gros plan : le photographe cadre sur une partie limitée et essentielle du sujet qui peut à elle seule évoquer l’ensemble. Le décor est inexistant. Attention aux détails. Importance de la lumière : travailler l’éclairage.

    6. Très gros plan : remplir le cadre par une petite partie du sujet. On isole donc un détail. Recherche d’une forme pure, d’une texture intéressante, d’un jeu de lumière. Mode macro. Bien exposer le sujet.

    C’est le déplacement ou la différence de focale qui permet de modifier le résultat en donnant plus ou moins de profondeur

    Le cadre reflète donc la capacité de l’artiste à isoler ce qu’il veut nous voyons dans l’image. C’est une question de regard et d’autorité.

    Ce qui se trouve hors du cadre (le hors champ) est aussi important que ce qui se trouve effectivement sur la photo. Dans certains cas, le fait de ne pas montrer un élément va le rendre encore plus fort car il va laisser libre cours à l’imagination du spectateur

    Copyright Gilles Caron, Londonderry 1968, fondation Caron.

    De fait, le cadre d’une photographie est actif.

    En effet, les éléments qui se trouve à l’intérieur du cadre sont en étroite relation, avec les bords de l’image: il y a une résonance ou « raisonance » entre eux. Donc, le cadre met en valeur certains éléments de l’image.

    Cadrage horizontal ou vertical ?

    • Prise de vue horizontale. Image plus stable, mieux équilibrée. Renforce l’effet des lignes structurantes. Impression de calme, de profondeur, de distance. A privilégier pour les paysages.
    • Prise de vue verticale. L’image semble plus grande (impression d’une forte distance entre le haut et la bas), et donc l’œil accorde moins d’importance à ce qui se situe tout en haut ou tout en bas. Convient au portrait ou aux actions se déroulant dans la hauteur. Impression d’action et de proximité. Plus chaleureux. Souvent utilisé pour les portraits.
    • Copyright Gilles Caron, Biafra 1968, fondation Gilles Caron

    Plongée /contre-plongée ?

    Le point de vue permet au photographe d’associer un sentiment à son sujet.

    1. Point de vue bas (contre-plongée) : resserre les plans. Souligne la hauteur des objets au premier plan. L’horizon est abaissée (jusqu’à être hors cadre). Accentue les perspectives et réduit les plans horizontaux. Le sujet est mis en valeur au détriment de l’arrière plan, déformé. Impression de puissance, de supériorité et de domination du sujet.
    copyright Gilles Caron, Londonderry 1968, fondation Caron

    2. Point de vue normal : l’horizon partage l’image en deux parts égales. Le photographe est à la même hauteur que le regard du sujet.

    3. Point de vue haut (plongée) : il semble éloigner les plans les uns des autres. Diminue la hauteur des objets au premier plan. L’horizon est élevée (jusqu’à être hors cadre) . Ce point de vue écrase les perspectives et déforme les éléments : il est conseillé de cadrer le sujet serré et d’éviter les éléments parasites. Impression de solitude et de détresse. Le photographe domine son sujet….ou joue sur une mise en abyme


    Copyright Gilles Caron, LondonDerry 1969, fondation Gilles Caron.

    5-LIGHT MY FIRE

    Photographie = Lumière. Etymologiquement, le mot photographier signifie peindre avec la lumière.

    Pour réussir de belles photos, le photographe doit donc avant tout jouer avec la lumière et en connaître toutes les subtilités afin d’obtenir au final le résultat escompté.

    Lumière artificielle. On distingue la lumière naturelle et la lumière artificielle.

    La lumière artificielle est la plus difficile à maîtriser. En effet, en photo couleur, des dominantes colorées (trop bleu ou trop orange) apparaissent rapidement en fonction du type d’éclairage….la balance des blancs est plus difficile à faire

    Le flash, quant à lui, est normalement équilibré pour générer une lumière proche de celle du jour et permet donc de rétablir un équilibre des couleurs en éclairage artificiel. Cependant, il est très dur à utiliser car il faut éviter une surexposition (trop de lumière sur le visage par exemple).

    La lumière du jour. La lumière du soleil n’est ni constante ni uniforme. La hauteur du soleil, les nuages, la saison sont autant de facteurs qui affectent cette source naturelle de lumière et rendent les variations possibles infinies.Il faut retenir que la température de la couleur du soleil varie en fonction du moment de la journée. Il est donc possible d’obtenir des rendus différents d’une même situation en fonction de l’heure de prise de vue.

    – A l’aube, les tons sont plutôt froids et bleutés.

    – A midi, l’éclairage est généralement neutre mais comme le soleil est à la verticale il n’y a pratiquement pas d’ombre, ce qui rend les photos plutôt banales. Vous aurez donc compris que le milieu de journée n’est pas le moment idéal pour la photo!

    A partir de 16-17 heures et ce jusqu’au coucher de soleil, la lumière se réchauffe (tons orangés) et offre au photographe une panoplie de rendus d’éclairage très propice à la prise de vue. De plus, le soleil bas sur l’horizon génère des ombres modelées qui mettent en valeur la scène

    Pour le noir et blanc, pas de problème de dominante colorée…tout réside dans la bonne gestion des ombres (ce qui n’est pas plus simple!).

    Un temps nuageux mais lumineux est l’idéal en extérieur. Avec une seule source de lumière ou un soleil trop vif, les contrastes seront excessifs et peu de détails ressortiront

    L’angle d’éclairage.

    Le photographe doit savoir positionner l’éclairage par rapport au sujet (en lumière artificielle ou studio) ou le sujet par rapport à l’éclairage (en lumière du jour) afin d’obtenir un rendu précis et de mettre en valeur le sujet ou l’objet photographié. Voici quelques exemples:

    – l’éclairage de face aplatit l’image et efface tout relief tout comme l’éclairage du dessus (cas du soleil à midi).

    – l’éclairage frontal (de face et de dessus) provoque des ombres généralement dures et courtes.

    l’éclairage de 3/4 face et légèrement plongeant constitue l’éclairage standard efficace pour de nombreuses prises de vues.

    -l’éclairage latéral me en relief le sujet photographié.

    – l’éclairage de dessous permet d’obtenir un rendu particulier qui met en valeur le sujet et qui lui procure un caractère dramatique..

    – l’éclairage de 3/4 arrière permet de bien restituer la notion de profondeur et de relief.

    – l’éclairage en contre jour (source lumineuse derrière le sujet, face à l’appareil photo) fait apparaître un effet de contour brillant du sujet. Très utilisé en portrait pour faire ressortir la silhouette de la chevelure du modèle photographié.

    Petits effets pour grands rendus!

    Le photographe peut jouer sur la vitesse pour créer des effets de flou ou de « tremblé » pour effet de mouvement, de mystère, d’urgence…l’effet produit dépend du sujet, du cadrage….

    Il peut aussi créer volontairement un effet de vignettage: centre de la photo éclairé et bords sombres.

    Enfin il peut jouer sur la couleur: saturée (effet criard) ou désaturée ( effet délavé)

    6- SHOOTER…OUI MAIS DANS QUEL BUT ?

    Le photojournalisme ne se contente pas de témoigner, il raconte une histoire, il éveille des émotions, une conscience, il évoque des références,  remet en question les préjugés… il combat les clichés par le cliché sans cliché…vous me suivez toujours ???

    7-SHOOT ME …I’M PHOTOJOURNALIST !

    Le photojournalisme demande un engagement physique, intellectuel, artistique et personnel qui imposent une forme d’abnégation…et se paient parfois au prix le plus cher (Gilles Caron a disparu pendant un reportage au Cambodge, Lucas Mebrouk Dolega a perdu la vie en couvrant la révolution tunisienne voir billet précédent) et pour une reconnaissance qui reste…nous dirons… dérisoire!

    Ceci dit quelques critiques sont avancées au sujet de l’image du photojournaliste, par exemple Claire-Lise Havet dans L’intimité dans le photojournalisme moderne avance ceci:

    « Reporter » est une profession admirée car elle confronte l’engagement au danger et à l’aventure. Les anciens et les nouveaux « combattants » alimentent le mythe du reporter engagé avec des anecdotes mélangeant risque, exotisme et argent. Le photoreporter fait rapidement figure de héros, présenté comme tel par les magazines et érigé en martyr par la profession : Robert Capa qui saute sur une mine en Indochine en 1954, David Seymour tué par l’armée Egyptienne en novembre 1956, Larry Burrows mort dans l’explosion d’un hélicoptère au Vietnam en 1971 alimentent l’image du reporter héroïque qui meurt pour son devoir. La société entretient ce mythe à travers la figure du reporter de guerre dans nombre de fictions. Aventure, courage, sincérité et engagement sont les traits dominants des personnages dans L’année de tous les dangers de Peter Wear en 1983, jusqu’à Harrison’s flowers en 2001 par Eli Chouraqui, où si les réalisateurs s’attachent à la figure du héros ils n’en oublient pas un regard juste et critique sur l’environnement du photographe. War photographer, le récent documentaire de Christian Frei sur le photoreporter James Nachtwey, est une véritable profession de foi de l’engagement photojournalistique qui perpétue ces clichés.
    Les photographes jouent de cette estime en mettant en avant leur courage et leurs prises de risques pour prouver la sincérité de leur témoignage, à l’image de Patrick Chauvel qui déclare « faites nous confiance, on montre ce qu’on voit, on souffre avec ceux quisouffrent et pour le reste, on fait ce qu’on peut… Engagement et subjectivité sont alors érigés comme les garants d’une vérité photojournalistique. Patrick Chauvel, est un reporter de guerre réputé pour être une vraie « tête brûlée » qui n’a pas peur de déclarer « mettre ma vieen jeu est un luxe que je me paie». Dans son livre Rapporteur de guerre dans lequel il raconte ses exploits, il mentionne un aspect intéressant expliquant qu’il préfère fonctionner avec un boîtier manuel alors que l’électronique et l’autofocus font leur apparition. C’est pour lui un moyen de rester dans une logique « humaine », de garder un rythme de prises de vue qui traduit sa santé et sa vitesse sur le terrain, plus près de la réalité et plus juste par rapport à ce qu’il vit et ce dont il témoigne. Soudés par leur goût du risque mais surtout par leur engagement, les reporters forment une grande famille à l’espoir un peu naïf mais sincère, qui croient au pouvoir de leurs images et à l’importance de leur rôle pour espérer faire changer le cours des choses. Capa, Cartier-Bresson, David Seymour et Georges Rodger vont au bout de cette alliance en créant Magnum en 1947, une coopérative de photographes dont ils ont élargi la mission à son contenu éthique : « faire la chronique de leur époque, fût-elle de guerre ou de paix, en témoins honnêtes, libres de tous préjugés chauvins. » (…)

    Le reportage de guerre est souvent considéré en raison des dangers et de la prise de position qu’il engendre comme le genre dominant et le plus glorifiant du photoreportage. La guerre à tout d’un sujet qui intéresse et motive les foules (…) La guerre

    C’est le sujet de prédilection de beaucoup de photographes, dont certains n’hésitent pas à dénigrer les autres pratiques du photoreportage, n’étant pas à la hauteur de leur engagement. »

    Mme Havet a certainement raison de souligner les clichés véhiculés par la profession (…d’ailleurs quelle profession n’en a pas). La question du cliché est tout de même mal posée:

    -les photojournalistes sont loin d’être naïfs, ce sont plutôt les citoyens qui manquent de lucidité ou d’indignation!

    -on ne peut nier la dose de cran, d’abnégation qu’il faut pour couvrir l’information surtout dans des zones  de révolution ou de conflit où les journalistes sont souvent pris pour cible…cela doit au moins éveiller le respect.

    Le cliché « héroïque » vient surtout du fait que les aspects positifs sont rarement équilibrés par les problèmes inhérents à la profession:  peur, manque de liberté, concurrence, manque de moyens, concessions…pourtant aucun professionnel n’en fait mystère!

    Par ailleurs, si la couverture des conflits reste un must, les reportages de société sont largement majoritaires…il suffit de visiter les sites d’agences comme Noor, VII, Cosmos ou les sites personnels des photographes pour s’en convaincre!

    8- VISA POUR CONCLURE

    Une photo est  une surface plane et limitée par un cadre. C’est l’aspect matériel. Sur cette surface on lit un sujet, une histoire. C’est la dimension narrative….et si la narration est violente c’est parce que le sujet s’y prête et qu’il faut y réagir ! Une photographie c’est  aussi, de la lumière, des couleurs, des lignes, des masses, des points et un instinct de l’instant. C’est la dimension esthétique.

    Les forces narratives et esthétiques d’une image sont déterminées par les choix opérés par le photographe. C’est lui  qui rendra une photographie fascinante…. c’est SA signature

    Eduquer son regard c’est être capable  de concevoir une photo dans toutes ses dimensions pour faire corps avec elle et dialoguer avec son auteur…histoire d’éveiller un peu sa conscience au-delà d’une bienséance de bon aloi.

    Cette éducation permettra d’éviter LA « question marronnier » posée invariablement à Jean-François Leroy, directeur de VISA pour l’IMAGE,  «Mais pourquoi les photographes font-ils des photographies aussi violentes ! »…je vous passe la réponse…elle me fait sourire chaque année !

    La véritable question est « Sommes nous préparés à regarder le monde vu et rapporté par le photojournalisme? »…j’espère que mes élèves le seront!

    Laetitia Canal-Cologni

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