Les indiennes sang dessus-dessous

Recherches et texte par  Valentine Canal, juillet 2019

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 Bien qu’étant un phénomène naturel les menstruations sont considérées en Inde comme un véritable tabou sociétal et représentent un fardeau pour les femmes tant sur le plan personnel qu’au niveau de leur intégration sociale.

 Durant leurs règles, surnommées « religion menstruelle » les indiennes sont victimes de discriminations, allant de la superstition au véritable isolement. Interdiction de cuisiner, de toucher des cornichons, de se laver les cheveux, d’avoir des relations sexuelles, nombreux sont les mythes autour de ce phénomène mensuel. Ces pratiques sont issues de croyances religieuses archaïques toujours inscrites dans les mœurs populaires. Le tabou autour des règles résulte aussi d’un manque d’information transmises aux filles à l’école, mais aussi dans leur sphère familiale. D’après un rapport de l’UNICEF, 70% des fillettes indiennes n’ont jamais entendu parler des règles avant d’avoir eu leurs premières. Plus grave encore, dans les espaces ruraux, tels que l’état du Chhattisgarh, à l’est du pays, les femmes sont souvent isolées dans des cabanons rudimentaires appelés Gaokor durant leurs règles. Elles sont ainsi exposées aux intempéries, à l’insalubrité, l’inconfort et aux agressions sexuelles, comme l’illustre le court métrage Gaokor-A period house. Réalisé en 2018 par l’Indienne Priyanka Pathak, cette œuvre fictionnelle engagée dépeint la condition des femmes isolées et déplore la mort de centaines de femmes qui succombent de mauvais traitement, chaque année, dans les Gaokor indiens.

 https://filmfreeway.com/1367177

151Exemple de Gaokor.

 

 

 

 
Cette pratique, véritable atteinte à la dignité humaine persiste en 2019, alors qu’elle fut dénoncée par la National Human Rights Commission (NHRC) auprès du gouvernement indien en 2015.

En parallèle, seulement 12% des indiennes utilisent des protections hygiéniques.

La difficulté d’accès aux protections en zone rurale, la pauvreté sévissant dans le pays en regard des prix généralement élevés sont les principaux les facteurs pérennisant la précarité menstruelle en Inde. En effet, la pratique la plus courante dans ce pays est l’utilisation de vêtements pour absorber le flux sanguin. Certaines utilisent de la terre, ou laissent leur sang s’écouler.
Ainsi, selon l’UNICEF, le manque d’hygiène menstruelle serait à l’origine de 70% des problèmes de santé reproductive dans le pays. De surcroît, ces problèmes sanitaires sont amplifiés par la gestion catastrophique des protections usagées. Un rapport de l’IRIS datant de 2018 met en lumière des données alarmantes sur la pollution des sols et de l’eau entraînée par la mauvaise gestion des déchets.

Ces facteurs, ajoutées les uns aux autres contraignent les jeunes filles à ne pas se rendre dans les lieux publics en période de règles. Conséquence : les absences liées aux menstruations sont l’origine principale de décrochage scolaire. Près de 9 filles sur 10 ne vont pas à l’école en période de règles, ce qui représente près de 50 jours d’absence soit 2 mois d’éducation perdus par année scolaire. Les femmes en incapacité de poursuivre leurs études finissent par exercer des postes avec moins de responsabilités et sont mariées très tôt, souvent dès l’apparition de ce signe de fertilité. En effet, une étude réalisée par l’UNICEF en 2015 démontre que plus de 25% des filles mineures sont mariées en Inde, avec un taux avoisinant les 45% dans certaines régions, comme le démontre la carte ci-dessous.

Mariage

L’un dans l’autre, nous pouvons nous apercevoir de l’impact majeur lié à la gestion des menstruations en Inde. Comment ce phénomène naturel anodin peut-il être la cause de tant d’inégalités et de dangers pour les femmes ?

Un homme, Aranachalam Muruganantham, s’est interrogé sur ce problème et a décidé d’œuvrer dans son pays afin de faciliter l’accès aux protections hygiéniques dans les régions rurales indiennes. Après s’être indigné de découvrir que sa femme devait sacrifier l’achat de protections hygiéniques au profit de produits alimentaires, il a décidé d’agir. Durant quatre ans, « menstrual man » a imaginé des prototypes de serviettes hygiéniques, testés sur lui-même en reproduisant l’appareil génital féminin avec système de vessie suspendue avec du sang animal à l’intérieur pour simuler les règles.

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Crédit photo. Courrier International.

Ainsi, en 2014, il est parvenu à créer une machine permettant de concevoir des serviettes hygiéniques stériles. Fonctionnant comme un broyeur ménager, elle décompose et assemble du coton en paquets rectangulaires. Ils sont ensuite enveloppés dans du tissu stérile et désinfectés à l’ultraviolet. Tout cela, sans électricité, avec un système de pédalier proche de celui des métiers à tisser. De plus, des incinérateurs ressemblant à des pots de jardin sont distribués aux femmes afin qu’elles puissent brûler leurs serviettes hygiéniques usagées. Ces machines, dont la fabrication coûte 950$ permettent la production de serviettes à 6 cents l’unité. Depuis 2014, plus de 250 machines ont été construites en Inde et plus d’une centaine dans d’autres pays (Kenya, Nigeria, Bangladesh…)     

Dans les provinces rurales, les femmes font elles-mêmes  fonctionner les machines et créent leurs propres marques de serviettes qu’elles vendent dans leur village. Ceci permet la création d’emplois et l’accès aux protections et donc à la santé aux Indiennes. En 2015, la société BEDEKAR utilisant cette machine a commercialisé 50 000 serviettes sous la marque SAKHI ( ami en Hindi) et permis à plus de femmes 6 000 d’accéder aux protections hygiéniques.

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Crédit photo Courrier International.

Ce phénomène a pris une ampleur internationale en 2019, grâce au documentaire   Period. End of sentance . Réalisé par l’Iranienne Rayka Zehtabchi, il met en lumière l’ensemble des problèmes liés aux menstruations en Inde, et présente l’évolution des conditions des femmes grâce à l’invention de menstrual man, dont l’histoire avait déjà fait l’objet d’un film indien en 2015 . Primé aux Oscars 2019 en tant que meilleur court-métrage documentaire, il est diffusé sur Netflix et disponible dans le monde entier. Cette importante médiatisation, à permis à la lutte contre la précarité menstruelle dans le monde de devenir un enjeu humanitaire majeur, inscrit dans les préoccupations des ONG et des gouvernements.

 https://vimeo.com/301410537

Rappelons que le gouvernement Indien a abaissé la taxe sur les produits d’hygiène menstruelle à 12% en 2017, à la suite de multiples manifestations d’ONG locales telles que DARSA.

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En parallèle d’autres ONG proposent des solutions pour pallier le manque de protections hygiéniques. C’est le cas de GOONJ, une association fondée en 1998, basée sur la récupération et le recyclage de déchets à grande échelle. Elle a lancé en 2004 le programme  « Not Just a piece of cloth »  visant à transformer d’anciens vêtements en protections hygiéniques lavables, sous la marque « My Pad ». Leur production a explosé depuis les débuts du mouvement : 960 lors de la première année contre 2,5 millions l’an passé !

Cette initiative a permis à des milliers de femmes de disposer disposer de protections certes, artisanales mais bien efficaces.

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 Crédit photo Courrier International.

Il est donc primordial de poursuivre la mise en lumière de ces problèmes sanitaires et de lutter pour garantir la dignité de ces femmes en situation précaire. A mon échelle, j’ai eu la chance de rencontrer la défenseure des droits humains pakistanaise Naghma Iqtidar lors d’une rencontre organisée par Amnesty International à Paris les 3 et 4 Novembre 2018.

Elle a pu me transmettre son témoignage concernant la gestion des menstruations dans son pays: le Pakistan. Voici quelques extraits de notre échange:

 Finalement, nous pouvons nous apercevoir que ces inégalités ne sont pas seulement présentes en Inde, mais touchent les femmes partout dans le monde.

Il est donc tant de changer les règles des menstruations !

 

Quelques liens pour agir:

https://goonj.org/voices-from-the-field-tribal-women-speak-up-about-njpc-menses/ :Dons Goonj

 https://www.unicef.fr/?gclid=EAIaIQobChMI-v-F8YW34wIVE4fVCh1F0gR2EAAYASAAEgLfcvD_BwE: Devenir bénévole ou donner pour L’UNICEF

https://vimeo.com/301410537 : Regarder Period. End of  sentence sur Netflix https://www.regleselementaires.com/ : Collecte de protections hygiéniques en France

Sources

 https://blog.courrierinternational.com/ma-decouverte-de-l-inde/2017/07/24/avoir-ses-regles-en-ind e-un-tabou-menstruel

https://data.unicef.org/resources/ending-child-marriage-a-profile-of-progress-in-india/ https://www.courrierinternational.com/video/inde-regles-lhomme-qui-permis-aux-indiennes-de-por ter-des-serviettes

https://www.france24.com/fr/20190222-inde-oscars-documentaire-regles-menstruations-servietteshygieniques-Zehtabchi

https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2018/02/Observatoire-sant%C3%A9-f%C3%A9vrier -2018.pdf

https://filmfreeway.com/1367177 https://www.changemakers.com/healthbiz/entries/not-just-piece-cloth

Pour élargir le sujet:

www.regleselementaires.com

www.freeperiods.org

Site de serviettes réutilisables

www.dansmaculotte.com

 

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