©Pierre Terdjman, La fillette aux poupées, 23 Jan 2010
Haïti, avant le tremblement de terre du 12 janvier 2010 c’était une catastrophe. Un RNB de 700 $ par habitant/an, un IDH de 0,475 soit 153ème sur 177 pays, un taux de mortalité infantile de 70 pour mille (contre 8 dans un pays industrialisé), une espérance de vie de 51 ans contre 80 dans les pays du Nord. Haïti, avec le tremblement de terre, c’est un cataclysme. Le peu devenu … plus rien… Au milieu d’un camp de fortune en draps de lit ….Comme devant un étendoir … apparaît une princesse en robe … rose… comme il se doit pour toutes les princesses ! Mais Princesse est loin des contes de fées et de leur mièvrerie sucrée. Derrière les draps on sait le paysage dévasté, éventré, effondré. On sait les émeutes, l’odeur de la mort, la poussière, les répliques. Pierre Terdjman nous épargne sur ce cliché ces images vues et revues. Princesse est hors de tout ça pour un instant suspendu. Elle tient deux trésors : deux têtes de mannequin. Deux poupées dans ce monde de désolation… deux objets si précieux pour une petite fille… La première poupée a les cheveux en pétard, les yeux figés dans une stupéfaction éternelle. La deuxième poupée, crane lisse, a un visage solaire, parfait, elle est tendrement blottie contre la poitrine inquiète de l’enfant. Elle donne un de ces câlins maternels qui consolent tout. Princesse a un visage tellement beau et un regard tellement dur, rageur, prêt à protéger ses précieuses poupées. Qui regarde-t-elle ? Deux poupées, un regard suffisent pour suggérer le drame. Ici la poupée n’est plus un jouet. La poupée, c’est l’enfance qui veut survivre à cette horreur avec une détermination qui impose le respect et la tendresse. Au premier plan, trouble, une autre princesse, toute de rose vêtue, a, elle aussi, repéré les poupées. Un autre drame se trame peut-être… Princesse est une chanceuse, une élue. C’est l’innocence perdue mais la foi intacte dans l’avenir. Princesse rose où es-tu aujourd’hui ? Je t’espérais, au mieux, dans une cour d’école jouant avec un rire éclatant au milieu de plein d’autres gosses bruyants. Insouciante…Je sais aujourd’hui qu’il en est rien. Tes poupées veillent au pied d’un lit de fortune. Les ruines sont partout. 500 camps de tentes abritent 18 000 personnes pour la seule capitale de Port au Prince. Le cyclone Tomas a inondé l’île et fait 6 morts. Le cholera a déjà emporté 2 000 personnes (5% des malades décèdent de la maladie). Les rumeurs accusent les soldats de l’ONU et attisent l’instabilité. Ce jour, 28 novembre 2010, dans une certaine confusion, les Haïtiens sont appelés à élire leur président (18 candidats se présentent), les 99 députés de la Chambre et onze des trente membres du Sénat… élection sur quel programme ? Reconstruire … Haïti, presque un an après le tremblement de terre c’est… toujours le chaos.
Laetitia Canal-Cologni
Pour approfondir
*Haïti Situation : Etat situé à l’ouest de l’île d’Hispaniola ( l’est étant l’Etat de Saint-Domingue), baigné au nord par l’océan Atlantique et à l’est par la mer des Caraïbes ; Population 9,5 millions d’habitants. Capitale Port au Prince (2,5millions d’habitants et 4 millions pour la conurbation). République dirigée par René Préval. Langue officielle : le français. Religions : catholicisme. Protestantisme.Vaudou. Monnaie : la gourde (1€=50 gourdes). Taux de chômage officiel est de 30% 2009 (mais en réalité les deux tiers des Haïtiens sont touchés par le chômage ou le sous-emploi)
Poème haïtien, juste sublime…
Mon avenir sur ton visage est dessiné comme des nervures sur une feuille,
Ta bouche quand tu ris est ciselée dans l’épaisseur d’une flamme,
La douceur luit dans tes yeux comme une goutte d’eau dans la fourrure d’une vivante zibeline,
La houle ensemence ton corps et telle une cloche ta frénésie à toute volée résonne à travers mon sang
Comme tous les fleuves abandonnent leurs lits pour le fond de sable de ta beauté,
Comme des caravanes d’hirondelles regagnent tous les ans la clémence de ton méridien,
En toute saison je me cantonne dans l’invariable journée de ta chair,
Je suis sur cette terre pour être à l’infini brisé et reconstruit par la violence de tes flots,
Ton délice à chaque instant me recrée tel un coeur ses battements,
Ton amour découpe ma vie comme un grand feu de bois à l’horizon illimité des hommes.
René Depestre, Minerai noir
Conscience citoyenne.
« En 1978, les temps avaient changé. La campagne des droits de l’homme du démocrate Carter allait obliger la dictature à une répression moins aveugle. Dans cet entrebâillement devait s’engouffrer une prise de parole publique des médias qui redonnait l’initiative à la militance au pays. Les manuels étaient de plus en plus utilisés à d’autres fins que pédagogiques et leur systématique traduction et adaptation en créole leur ouvrait d’autres perspectives. Contraint cependant à ne plus rentrer en Haïti, je courais les lieux de notre diaspora pour reconstruire, avec l’aide des différentes strates sociales, les éléments et conditions de leur vécu » George Anglade, Eloge de la pauvreté , 1983
*Séisme du 12 janvier 2010. Magnitude 7 à 7,3. Victimes entre 250 000 de morts et 300 000 blessés, 2 à 3 millions de sans-abris.
*Aide à Haïti L’ONU a lancé un appel visant à récolter 562 millions de dollars pour Haïti. Et l’annulation de la dette Les Etats-Unis ont ainsi fourni 100 millions de dollars, l’Australie 8,99 millions de dollars, le Brésil 15,5 millions de dollars, le Canada 53,66 millions de dollars, la Chine 5,4 millions de dollars, le Danemark 7,4 millions de dollars, ou l’Union Européenne 4,3 millions de dollars (source www.un.org) Détail de l’aide de l’UE : -aide humanitaire de court terme de 122 millions d’euros (30 millions au titre d’ECHO et 92 millions des Etats-membres). La France a annoncé une participation de 14 millions d’euros, dont 10 millions en réponse à l’appel de l’ONU et 2 millions au titre de l’aide alimentaire d’urgence. – réhabilitation à moyen terme : 100 millions d’euros ont été annoncés par la Commission européenne (40 millions d’aide budgétaire, 40 millions pour la réhabilitation des infrastructures essentielles et 20 millions au titre de l’instrument de stabilité. Et pour une reconstruction à long terme : 200 millions d’euros ont été annoncés par la Commission européenne. (source www.ec.europ.eu)
*Livres « La littérature haïtienne est « au bouche à bouche avec l’histoire » René Depestre, Hadriana dans tous mes rêves, Gallimard, 1988
George Anglade, Rire haïtien : les lodyans de Georges Anglade / Haitian laughter : a mosaic of ninety miniatures in French and English, Educa Vision, Coconut Creek, FL, 2006
Georges Anglade, Chronique d’une espérance, L’Imprimeur II, Port-au-Prince, 2008 Benjamin Fernandez, Bataille humanitaire à Haïti » Le monde diplomatique, 2010. http://www.monde-diplomatique.fr/2010/02/FERNANDEZ/18841
http://www.laban-mattei.com le photographe est actuellement en Haïti
http://www.pierreterdjman.com/ la série Haïti de ce photographe a fait l’objet d’une exposition par le ministère de la culture
Pierre Terdjman est un photojournaliste, formé à l’école de la guerre, pendant 7 ans, il a vécut en Israël, entre Tel-Aviv et Jérusalem. Il a travaillé de 2003 à 2007 pour le quotidien « Haaretz », journal Israélien , et pour L’agence EPA, agence de journaux et photos européennes. Il a commencé à se faire connaître grâce aux photos qu’il a pris sur le tsunami au Sri Lanka puis grâce à son travail sur la guerre en Géorgie mais également sur les conflits post-électoraux au Kenya (il a prit des photos des personnes mécontentes des résultats des élections truquées). Pierre Terdjman a également travaillé à « Paris Match » après être rentré à l’agence Gamma en 2007, de là il a suivi durant plusieurs mois les soldats français en Afghanistan. Il a été demandé par le ministère de la culture pour faire une exposition des photos de Haïti le 12 janvier 2010. Pierre Terdjman a travaillé dans les journaux et magazines comme « Le Monde », « The Observer », « The Guardian »…