EXPO: PEURS SUR LA VILLE

copyright, Patrick Chauvel, photomontage, exposition Peurs sur la ville, 2011.

Le texte ci-dessous, chronique Vu de Luc Desbenoit dans Télérama, m’a fait bondir parce que je l’ai trouvé …MAL VU !

Lisez, ensuite je vous détaille les raisons de mon saut de « cabrit » dans mon lit à 23h… mes arguments se résument en trois points.

« L’image intrigue. Que fait le corps de cette femme ensanglantée sur le pont de la Concorde, près de l’Assemblée Nationale ? Aurait-elle été renversée par ce blindé de l’ONU et laisée seule dans une capitale étrangement désertée ? Quelque chose ne colle pas. La victime est bien morte mais pas à Paris. Elle a été assassinée en 1992 par un tireur isolé, à Sarajevo, sur « Sniper Alley », de sinistre mémoire. Témoin de cette tragédie, le photographe de guerre Patrick Chauvel, a décidé de ressortir ce cliché de ses archives et d’en faire un photomontage. Il  n’a pas choisi la victime au hasard : habillée comme une Parisienne pourrait l’être, avec ce détail poignant- le cabas rouge à commissions-, son corps est censé sensibiliser aux horreurs de la guerre. Rappeler que nous ne sommes pas à l’abri. Présentée en grand format avec une dizaine d’autres photomontages- on peut ainsi voir dans le métro la photo d’un char détruit devant l’arc de Triomphe, l’affiche de l’exposition de Chauvel à la Monnaie de Paris- la photographie innove ici dans l’horreur. Si le JT projette les drames dans notre salle à manger, Chauvel veut aller plus loin en transportant le cadavre chez nous, en France, en le livrant pour ainsi dire à domicile. Sans cynisme…Mais avec une certaine naïveté. C’est que le photographe met sa vie en jeu depuis quarante ans pour témoigner des conflits et enrage contre l’indifférence de l’Occident aux malheurs de la planète. Les images de victimes d’Egypte et de Tunisie prouvent pourtant le contraire : on y est pas indifférent tant leur violence jamais n’est gratuite, mais donne l’espoir qu’elle provoquera la chute des dictateurs. L’image manipulée de Chauvel, elle  n’est qu’une mise en scène de la violence. Qui indiffère ou, pis dont on s’abreuve. Et dans ce cas-là, l’obscénité n’est jamais loin »

Luc Desbenoit. Chronique publiée dans le N°3188 de Télérama (19 au 25 février)…dans la rubrique VU p 158

3 raisons  pour tomber du lit en lisant ce texte:

1°-FOCUS CHAUVEL

Cette exposition n’est pas l’exposition Chauvel, « Peurs sur la Ville » présente en 3 volets différentes formes de violence

1er volet, une violence réelle mais qui relève de l’histoire c’est « la violence dans tous ses états » basée sur les archives de Paris-Match qui rappelle par le photojournalisme que depuis août 1944 la paix à Paris est un phénomène récent et précaire !

2eme volet, une violence virtuelle mais contemporaine c’est « Sous haute surveillance » à Partir des photos de Google Street View présentés en agrandissement moirés par Michael Wolf. Cet ensemble  nous montre la violence d’un quotidien violé par Big Brother, souriez ou indignez-vous…vous êtes filmés !

3eme volet, une violence qui mêle le réel et le virtuel, c’est « Le cauchemar » de Patrick Chauvel grâce à des photomontages images de guerre transposées à Paris.

Il est dommage que Luc Desbenoit ne présente « Peur sur la ville » que sous l’angle du volet Chauvel car justement ces trois parties se répondent et s’interrogent mutuellement…violence d’hier, violence d’aujourd’hui, ici, là-bas…et demain, et, chez nous, et, chez eux.. L’ensemble de l’exposition prend toute sa cohérence en finissant par les photomontages de Patrick Chauvel.

2° Not in my back yard !

Et c’est ce que je regrette le plus !… Desbenoit défend cette vision de l’information à la fois pudibonde, hygiéniste et café du commerce… en effet  que signifie ce passage ?…

« (…) l’affiche de l’exposition de Chauvel à la Monnaie de Paris- la photographie innove ici dans l’horreur. Si le JT projette les drames dans notre salle à manger, Chauvel veut aller plus loin en transportant le cadavre chez nous, en France, en le livrant pour ainsi dire à domicile »

…Si je comprends bien, le problème de  Desbenoit c’est d’avoir à supporter l’horreur entre la poire et le fromage et d’être poursuivie par elle dans le métro matin et soir…c’est ça innover dans l’horreur ?…Soit. On n’a certes  pas la même conception de l’innovation dans l’horreur…la  guerre civile espagnole, la Shoah, le génocide Tutsi, les guerres en Tchétchénie ou en Yougoslavie, les massacres au Darfour, voir la population haïtienne crever du choléra sous des tentes un an après un séisme dévastateur et un afflux d’aide internationale sont, pour ma part, des innovations dans l’horreur…enfin c’est mon humble point de vue…

Personnellement je remercie Chauvel, Silva, Dolega et tous les autres de payer le prix fort pour me montrer l’horreur à toute heure. Oui ,merci!…  parce que j’ai besoin de voir le monde tel qu’il est…pas par goût des hauts le cœur ou par goût de la flagellation morale. Je ne me dis jamais benoitement que j’ai une chance inouïe  d’être plantée devant France 24 armée de mon plateau repas complet face à des millions d’affamés, de massacrés ou de révoltés. Cœur de pierre que je suis ! … voir l’horreur ne soulage pas ma conscience (elle n’en a pas besoin), voir l’horreur  éveille ma conscience….et c’est déjà beaucoup… alors merci à  Chauvel de me donner à savoir le monde, de me donner le goût des autres…ou le dégoût c’est selon.

Bref, Desbenoit est un Nimby ! What a shame pour un chroniqueur de Télérama !

3° Des cadavres oui !! …mais pour la bonne cause !

Ahhh ne croyez pas, cher lecteur, que  Desbenoit est indifférent à toute image d’un cadavre à l’heure du dîner ou livré à domicile… non, non ! Il accepte de voir la mort en face (enfin pas en très gros plan faut pas pousser !) …donc des morts oui !… mais sous certaines conditions…il annonce la couleur : «  Les images des victimes d’Egypte et de Tunisie prouvent pourtant le contraire : on y est pas indifférent tant leur violence jamais n’est gratuite, mais donne l’espoir qu’elle provoquera la chute des dictateurs »…en clair…des morts pour la révolution…voilà des cadavres qui fleurent bon l’exposition !…montrez des morts mais  pour de nobles  causes ! Cette pauvre femme yougoslave, descendue par un sniper, en revenant des courses…c’est trop trivial, c’est pas glamour, c’est à désespérer de tout ! En suivant ce raisonnement c’est sûr que les JT  ou les journaux (qui préfèrent déjà parler du vol du sac de mémé Gina au café du coin) n’auront plus un cadavre à nous placer en travers de l’estomac… Visa pour l’image sera le pays des Bisounours et les moutons seront bien gardés !

Bref le message de Chauvel est analysé à contresens, lui qui voulait sensibiliser…on lui renvoie une fin de non recevoir… que le monde crève en silence et loin d’ici SVP….parce que Luc voudrait finir son dessert au chocolat en paix!

Pour signer ce papier navrant, Desbenoit termine par une conclusion lapidaire sur la démarche de Chauvel: « L’image manipulée de Chauvel, elle  n’est qu’une mise en scène de la violence. Qui indiffère ou, pis dont on s’abreuve. Et dans ce cas là l’obscénité n’est jamais loin »…Je regrette! Ayant vu cette exposition avec mes élèves, ils n’en sont sortis ni indifférents, ni abreuvés …au contraire…l’expo les a interpellés, dérangés, ils ont débattu, voulu comprendre …bref l’expo a permis  l’ouverture du meilleur de leur temps de cerveau disponible. Quant à dire que ce sont des images « manipulées » Je regrette (again)…elles sont montées en toute conscience et affirmation …pas de manipulation au sens péjoratif du terme! …à la différence des images détourées ou recadrées par de nombreux journaux ou magazines ( qui oublient souvent le crédit ou le notent en tout petit sur la tranche). Rappel tous ces photomontages sont accompagnés de la photo d’origine qui permet de faire un contrepoint honnête jusqu’au bout de l’objectif…

L’obscénité, monsieur Desbenoit,  c’est de refuser de voir le monde tel qu’il est… ici ou là-bas… Chauvel a bien raison de nous  livrer à domicile ses photomontages « des affreux restes du monde »…manière de faire une piqûre de rappel, car visiblement il y a encore du boulot !

Laetitia Canal-Cologni

PS: Pour être tout à fait juste sur l’analyse de l’expo « Peurs sur la ville »…j’ai deux ou trois réserves à faire

1° le manque de contexte pour la série sur Paris Match…mais bon pour un prof d’histoire c’est plutôt du pain béni d’avoir cette chronologie de Paris en images sans trop d’explications…comme ça il nous reste des choses à dire…mais il est vrai qu’un visiteur non préparé peut se retrouver facilement perdu…

2°le manque de précision sur les légendes et les crédits photographiques

3°le choix du titre de l’exposition qui finalement est un peu racoleur…rappel d’une ouverture de JT assez démago de Gicquel « La France a peur »…

C’est peut-être ce titre peu pertinent qui crée cette confusion ou ce malaise dans l’esprit des visiteurs…

« Violences à Paris » me semblait plus juste et plus honnête.

…Cela dit c’est une belle expo qu’il faut préparer en amont et exploiter en aval et lire dans son ensemble….pour ne pas sombrer dans une peur primaire ou des jugements trop naïfs.

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