ECOLE…A corps et à craies.

©Bertrand Gaudillère, A corps et à craies 2007- 2010.

L’école est peut-être une des institutions qui véhicule le plus de préjugés et de malentendus largement médiatisés.

Préjugés,parce que nous sommes  tous d’anciens élèves et  gardons de  cette expérience, des souvenirs plus ou moins heureux… Tragi-comédie scolaire ! Nous avons tous conservé quelques stupéfiantes anecdotes édifiant notre solide mur de préjugés…en tête des clichés: l’indiscipline, la violence, l’autoritarisme, l’absentéisme, les grèves, les dépressions, les notes et les pseudo-privilèges.

Malentendus, parce qu’Education Nationale est un terme équivoque : éduquer n’est pas élever…Malentendus, parce  qu’on assimile l’école à un sanctuaire alors qu’elle reçoit les impacts des problèmes socio-économiques de plein fouet.  Malentendus et confusion sur la finalité de l’école:  former n’est pas formater. Le portrait est terrible!.. et terriblement faux. Non ! L’école n’est pas « la fabrique du crétin » !   Ces idées reçues sont portées comme un fardeau par les parents, les enfants, les enseignants, le personnel scolaire et la société entière… un poids qu’il est difficile d’allègrement alléger, un poids qui fait éclater la stabilité précaire de l’école. Or, les dés étant pipés d’avance tout débat cohérent, dépassionné sur le système scolaire est  difficile à établir.

Fallait-il lutter contre des moulins pour montrer la réalité scolaire ? Non, il fallait juste un regard singulier, celui de Bertrand Gaudillère. En vagabondant dans sa série « à corps et à craies » je voyais pour la première fois un regard honnête et sensible sur l’école… Le photographe comprenait ! Il présentait une vie en maternelle et  touchait au plus près l’essence de mon univers de lycée . Il révélait les espoirs, les ambitions mais aussi les tensions du système scolaire, sans jamais verser dans le sensationnalisme, le préjugé ou le malentendu. En quelques photos tout était là… limpide…comme une évidence…  De son regard espiègle, pudique et complice jaillissait d’un coup : l’épanouissement, l’énergie, l’échange, l’envie, l’effort, l’éveil, l’égalité et la mixité. Cliché sans cliché. Une prouesse !  De cette école maternelle classée  ZUS (zone urbaine sensible) dont il a suivi les moments forts pendant trois ans, il montre  de la joie et de l’avenir…il y a certainement  des problèmes…comme partout…mais là n’est pas la question. L’évocation de cet univers que j’aime tant détruit enfin tous les murs d’incompréhension… entre ces murs plus d’étroitesse mais la liberté de l’esprit, le plaisir d’apprendre, le  respect réciproque…Chacun restant à sa place : élève-enfant, maître-adulte.

Dans « à corps et à craies », Bertrand Gaudillère fixe un tourbillon d’énergie… Energie pendant la récré… dans ces mouvements de robes, de petits petons mais aussi dans cette marelle qui sautille invariablement jusqu’au ciel. Sacrée récré ! Energie dans la classe, captée grâce à quelques cadrages serrés  sur les visages, sur les regards captivés, passionnés, sur ces doigts levés, pressés de répondre (on entend presque le « moi ! moi ! moi ! maîtresse! »). En plan frontal, en plongée ou en contre- plongée nous restons toujours à  taille d’enfant…Excellente perspective, géniale idée, puisque les écoliers sont au centre de tout. Les enseignants, eux, sont comme des ombres bienveillantes… On est loin de leur image mythique oscillant entre punition, autoritarisme, désarroi et élitisme. Au contraire, le monde des enfants se mêle à celui des enseignants, souvent par le regard.  Leur mise en abyme est frappante: nous regardons les enfants, eux, regardent la maîtresse qui probablement les regarde. Les gosses ont  l’œil vif, ils sont le cœur vibrant du système.

Chaque photo  joue à cache-cache avec le clair-obscur. Une  lumière subtile caresse les chairs tendres des ces êtres chers avec lesquels nous passons le plus clair de nos journées. Ombre et lumière à nouveau, pour cette photo de spectacle en ombres chinoises. Féérique et fantastique…. L’école redevient un lieu magique, dynamique qui bouge au rythme des enfants. C’est (presque ?) mieux que l’école buissonnière!

L’école, sans calcul mental, ajoute  épanouissement et apprentissage pour le plus grand nombre, dans le respect des différences de chacun… Avec des effectifs de 25 enfants dans les classes (jusqu’à 35 au lycée), il faut: développer les compétences, éveiller l’esprit critique, suivre les programmes, sortir des carcans pédagogiques habituels tout en respectant les règles de vies…cela relève souvent de l’exercice de haute voltige…et cela ne se calibre pas,  ne se quantifie pas,  ne se note pas, ne se gère pas comme un bilan comptable. L’école ne se calcule pas. Nous, enseignants, manquons souvent de temps, de liberté, nous gérons souvent des problèmes qui nous fatiguent ou nous dépassent mais nous gardons le cap vers notre objectif: transmettre le goût de découvrir, donner à penser. L’école  plante quelques jalons, donne quelques clés… Ces germes  produiront souvent de belles fleurs, souvent nous assistons à leur éclosion, parfois affrontons leur épines, nous constatons rarement leur dessèchement. Il n’y a jamais de mauvaise herbe…juste quelques allergies, quelques incompréhensions passagères… Sans être candide, il faut cultiver notre jardin : notre école… et oui ! ça pousse !…parole de prof !

Laetitia Canal-Cologni

©Bertrand Gaudillère, A corps et à craies 2007- 2010.

Pour approfondir

Carte des académies



Quelques données sur l’Education Nationale (source ministère de l’Education Nationale)

Budget de l’Education Nationale
59,9 milliards en 2009
60,4 milliards en 2010

Effectifs élèves (2009-2010)
1er degré  6 647 100
2d degré  5 331 700

Effectifs professeurs (2010)
1er degré  334 900
2d degré   356 400

Suppression des postes d’enseignants
2007   8 700
2008 11 200
2009 13 500
2010 16 000
Evolution des effectifs d’élèves jusqu’en 2015 …. + 154 00 élèves !

Diplomes

Agrégation (16 h de cours)

Capes: certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (18 h de cours)

Cape: Certificat d’aptitude au professorat des écoles.

STAGIAIRES EN GALERE

16 000 stagiaires lauréats du CAPES CAPE 2010 ont pris en charge leurs premières classes, sans formation pratique. Avant la « mastérisation » du recrutement, et dans le but d’élever le niveau du recrutement (sachant que les titulaires du Capes ou du Cape avant cette réforme étaient pour beaucoup déjà détenteurs d’une maîtrise ou d’un doctorat mais passons) les lauréats effectuaient une année de stage. Dans l’enseignement supérieur, cela signifiait 5 heures de cours ( soit une à deux classes) avec la présence régulière d’un tuteur…et des heures de discussions avec ce dernier, sur la façon de mener une classe, la discipline, la structure des cours; le reste de l’emploi du temps était consacré en heures de cours de théorie et de pratique en IUFM…bref une année utile pour jeter les bases d’un métier qui s’apprend (le charisme « naturel » ne fait pas tout!)… une année pour dépasser la somme de savoirs que nous demande le concours et gagner en pédagogie (ce qui est le centre de notre métier!… la pédagogie passe avant notre discipline et, quand elle fonctionne,  nous permet d’éviter de faire de la discipline).

L’année de stage IUFM ayant été supprimée les stagiaires (contre une légère augmentation de salaire pour les « jeunes diplômés »),  ils doivent assumer la charge de préparer tous les cours de tous les niveaux en même temps, corriger les copies, tout en gérant les classes -parfois difficiles- « ex nihilo » … et parfois, cerise sur le gâteau, ils reçoivent la charge de PP ( prof principal, c’est à dire organiser une partie de l’orientation, suivre individuellement les cas, assurer les réunions pédagogiques…)…bref une année en flux plus que tendus…

Coïncidence en  2010 16 000 départs à la retraite n’ont pas été remplacés.

besse_110108

Etablissements et collectivités locales
Les établissements dépendent pour l’entretien des bâtiments, les équipements et les financements (matériel, de projets) des collectivités locales
Les écoles dépendent de la Mairie.
Les collèges du Conseil Général
Les lycées de la Région

Maternelle entre autonomie et éveil.
« Est-ce vraiment logique (…) que nous fassions passer des concours bac +5 à des personnes dont la fonction va être essentiellement de faire faire la sieste à des enfants ou de changer leurs couches. » Xavier Darcos, ministre de l’Education Nationale, 2008.
Outre le fait que les enfants accueillis en maternelle sont propres, la maternelle mérite le plus grand respect. Petite Section, Moyenne Section et  Grande Section sont des étapes fondamentales pour l’apprentissage de l’autonomie, des premières compétences graphiques, mathématiques et surtout pour l’éveil de tous… dans l’égalité et la gratuité !

Exemples de projets pédagogiques réalisés par ma fille et mon fils en maternelle
Projet  PS: éveil au cinéma avec …Chaplin, Laurel et Hardy !
Projet MS: Afrique (musique, contes, réalisation graphiques)
Projet PS- MS: Potager (réalisation d’un potager dans l’école)
Projet GS-MS: Cirque (intervenants extérieurs, spectacle et exposition)
Projet GS: Musée le Paysage au Musée d’art moderne de Céret !
Pas besoin d’en rajouter…saluons juste l’ambition des enseignants et l’épanouissement des enfants !

Note Bleue
Dernier débat à la mode… faut-il cesser de noter au primaire. Grande question ! Juste quelques bribes de réflexion. Premièrement. tous les professeurs des écoles n’utilisent plus systématiquement les notes, certains ont une grille d’évaluation basée sur (notion acquise, en cours d’acquisition ,non acquise). De manière générale, la note évalue un devoir, pas un élève. Elle n’est ni une sanction, ni un honneur.

La note va de 0 à 20 et doit être utilisée dans la totalité de son éventail. 0 n’est pas égal à nul, 0 est égal à : « devoir non réalisé ». 20 n’est pas égal à parfait, 20 est égal à : « compétences méthodologiques et cognitives complètes ».
La concurrence-souffrance par la note vient de ce qu’on en fait: classement, compétition entre copains, comparaison entre frères et soeurs…or ce sont des réflexes encore présents chez certains  profs mais aussi élèves et parents!

Par ailleurs,  le système scolaire du secondaire entretient cette concurrence… exemple au lycée les notes servent largement de repère pour le recrutement en classes préparatoires (dès la classe de Première). Aux yeux d’un enseignant, un élève qui progresse de 4 à 8  reçoit autant de  reconnaissance que celui qui passe de 14  à 18.

A lire
Les profs, Bamboo Editions (Bande Dessinée)
Jean-François Mondot, Journal d’un prof de Banlieue, J’ai lu, 2002.
Mara Goyet Collèges de France, Folio, 2004.
http://www.collectifitem.com

Télérama n°3177, 1er décembre 2010.  Emile Gavoille, Enseigner s’apprend.

Ce contenu a été publié dans Europe, avec comme mot(s)-clé(s) , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Une réponse à ECOLE…A corps et à craies.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *